Les écrivains / adhérents
Véronique Taquin
Roman / Nouvelle / Essais / Scénario / PolarVéronique Taquin est l’auteure d’un essai sur Antigone d’Anouilh et d’articles sur la littérature et le cinéma, l’économie et la politique.
Son travail sur l’émotion au cinéma avec Gilles Deleuze l’a amenée à réaliser le moyen-métrage Bartleby ou les hommes au rebut (1993), adaptation de la nouvelle de Melville.
Elle élabore une trilogie romanesque sur nos imaginaires contemporains et sur le rôle des médias dans la construction du psychisme individuel et du corps social. Dans Vous pouvez mentir (Le Rouergue, 1998), le média matriciel est la radio (émission interactive de Pseudo). Dans Un roman du réseau, c’est Internet (écriture collective sur le site Odds). Ce roman réticulaire a fait l’objet d’une expérimentation éditoriale et interprétative en étant d’abord diffusé et commenté en ligne sur Mediapart (2011).
Le troisième élément de la trilogie est en cours(lejeudetaquin.free.fr/).
Bibliographie
Romans
– Vous pouvez mentir, roman, Rodez, Éditions du Rouergue, 1998
– Un roman du réseau, roman-feuilleton, Paris, éditions Hermann, collection "Cultures numériques", 2012
Films
– Bartleby, ou les Hommes au rebut, d’après la nouvelle de Herman Melville, moyen métrage de 34 mn, avec Daniel Gélin, Manuel Gélin, Jean-François Perrier, Marc Dudicourt, Hugues Quester ; chef-opérateur Alain Levent, son François Maurel, décors Christian Marti, Sépia Production, 1993.
– Racontez votre vie, vous pouvez mentir, réalisation avec Laurence Le Moyec et Laurent Loty, film expérimental en matériel professionnel vidéo, en cours de tournage.
Essai (livre et articles)
– Antigone de Jean Anouilh, Hachette, 1998
– « Eisenstein, la déformation extatique », Admiranda, 7, 1992, 14-22.
– « L'emozione in Dreyer: la catarsi e il neutro », Mistici e miraggi, Mystfest XVIII, Paolo Fabbri dir., ed. Mondadori, Milano, 1997, 47-74.
– « L'invention formelle dans La Femme du Gange de Duras : autonomie de la voix off et affects déterritorialisés », Cinergon 4/5, 1998, 77-87.
– « Racontez votre vie. Vous pouvez mentir », La Faute à Rousseau, 22, Autobiographie et cinéma, 1999, 40.
– « Sur Dreyer et le neutre: de Jeanne d'Arc à Gertrud, ou de la mystique à la momie », Cinergon, 6/7, 1999, 81-90.
– « Le Vent », Cinergon, 10, 2000, 5-8.
– « Affect impersonnel, conscience et temporalité: le dysnarratif dans India Song-film », dans Nouvelle vague, nouveaux rivages. Permanence du récit au cinéma, 1950-1970, J. Cleder et G. Mouëllic dir., Presses Universitaires de Rennes, 2001, 121-133.
– « Du Ravissement de Lol V. Stein à La Femme du Gange : autonomie de la voix off et affects déterritorialisés », Lectures de Duras. Le Ravissement de Lol V. Stein, Le Vice-Consul, India Song, Bruno Blanckeman dir., Presses Universitaires de Rennes, 2005, 229-238.
– « Pathos et sacralité chez Pasolini. D'Accattone à Salo ou les 120 journées de Sodome », Chroniques italiennes, 12, série Web, Université de la Sorbonne nouvelle, 4/2007, 30 p.
– « Retraites et pénibilité du travail : à propos d’un argument piégé », avec L. Loty, Respublica, 590, mai 2008.
– « Lecture : à propos du livre de R. Reich, Supercapitalisme. Le choc entre le système économique émergent et la démocratie », avec Jérôme Maucourant, Revue du M.A.U.S.S. [Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales], 31, 1er semestre 2008, 563-575.
– « Les fondements du système français de retraites en question. À propos de L’enjeu des retraites, de Bernard Friot, La Dispute, 2010 », avec J. Maucourant, Revue du M.A.U.S.S. permanente [en ligne], 25 octobre 2010.
– Un roman du réseau, Éditions Hermann, septembre 2012
Extraits
Extrait de Webmaster, première livraison d’Un roman du réseau :
Ainsi allaient les contes au sujet de Névo et de ses attributs, Névo at Odds Netshelterforum France, Web Master du site Web, Maître fou. Il devait lui suffire de n'être là qu'une occasion d'écrire, et comme il l'affirma une fois, dans ce nom de Névo, il aimait voir la case vide qui permet le déplacement des pièces au jeu de taquin. Car à l'en croire, les contes de ses correspondants se détachaient de lui et le concernaient de moins en moins, il avait lancé assez de signes pour catalyser des réactions en tout sens, et à chaque terme inducteur, un groupe affluait pour se fédérer en un corps de récit provisoire, bientôt abandonné ou repris dans de nouvelles unités qui ne dépendaient plus de lui — et il s'en réjouissait.
« Fort bien, disait emma, fort bien, mais “quand ils eurent passé le pont, les fantômes vinrent à leur rencontre” comme dans Nosferatu… » et de loin en loin, elle le mettait en garde, multipliant les images à son tour, organisant leur prolifération en se réglant sur son exemple, prévenant que les images pourraient bien changer de sens, qu'en ce cas il en verrait la vraie nature, qu'elle attendait ce moment. Car sans compter qu'un groupe avait toujours sa force propre, Névo n'avait pas mesuré celle d'Odds, aussi incontrôlable que les images qu'il s'employait à déchaîner chez ses correspondants : combien de temps avant qu'il ne les vît comme elle-même avait su les voir, autant de requins attirés par la flaque de sang à proportion de sa taille, combien de temps avant de se voir lui, Névo, vidé de sa vie par ces animaux ?
[…]
Pendant un temps, il sut demeurer à distance convenable. Les récits de ses correspondants l'intéressaient et lui plaisaient généralement, sans plus. Il observait les mécanismes du point de vue de la forme et y appliquait toute son attention : bifurcations des récits possibles où se falsifiait l'ensemble de sa vie, impeccablement vrais sur le principe de son alternative, ce qui les rendait tous acceptables en un sens ; division inévitable de l'image de « Névo », comme s'il s'était toujours trouvé quelque internaute désoeuvré pour corriger un élément donné en inventant son pendant, si bien que l'image globale, indécidable et douteuse, convenait à toutes ses scissiparités, quoi que l'on ait voulu — telle était la structure et elle lui plaisait d'autant plus que semblait ainsi s'accomplir, comme par magie et hors de lui, au moins une part des voeux qui s'étaient attachés au mystérieux nom d'Odds.
[…]
Certains protestèrent contre le droit de censure que Névo exerçait sans le dire puisque, non content de filtrer comme convenu les messages du circuit Oddfellow, il désencombrait la mémoire du site périodiquement, ce qui d'après eux changeait tout. Sincèrement, il aurait voulu s'expliquer sur ce point de manière détaillée, mais comment contrarier l'irrésistible ascension d'un désir si partagé ? Libéralement il avoua (après tout, il s'agissait d'Internet et qui payait quoi ?), comme si sa voix, automatiquement, se réglait désormais sur le ton d'ironie qu'ils attendaient de lui. Il est bizarre, mais il est vrai, écrivit-il un jour, que ce sont eux qui insensiblement m'ont contraint au genre particulier d'aveu qui recèle par nécessité un mensonge, à ce ton précis qui de toute réponse fera une pure provocation souriante, quoi que l'on dise, quoi que l'on veuille, offrant la moindre équivoque au pouvoir souverain de l'ironie. Rien n'est plus drôle qu'un géant manoeuvré par les mille liens des lilliputiens qui croient devoir se prémunir contre sa force, lui préparer un procès et le mener au supplice : c'est en riant que paralysé et sans voix au réveil, il découvrait sa taille nouvelle, apprenant d'eux bientôt, élève docile et effaré de sa docilité, comment marcher et parler pour aller publiquement répondre de ses crimes, redoutable désormais, si grand et si capable de mouvoir ce corps entièrement livré à l'institution.
[…]
Extrait de Twinlight, Lessen, deuxième livraison d’Un roman du réseau :
Il y avait plusieurs scènes dans le souvenir d'Ida, mais la dernière restait à écrire et l'ordre était incertain.
Elle souhaitait l'avis de Névo, d'après le premier message qu'elle lui adressait à titre personnel, le 20 / 07 / 95 à 11h10 pm : que pensait-il de ce déroulement, pouvait-il confirmer ou avait-il vu les choses autrement, le 03 / 06 / 95 au soir ?
[…]
« DÉFIGURATION — Grand parking souterrain, intérieur effet nuit.
« Aucune voiture dans ce parking sans porte ni fenêtre ; à voir les meubles, c'est plutôt à une chambre qu'on pense, à moins que ce ne soit la salle du trône. Assise sur un très grand fauteuil, la reine est nue environnée de ses naines. Silence, elle va jouer, silence !
« C'est bien Ida : une jeune femme nue et blanche sur le velours du fauteuil rouge, l'arrière-plan restant sombre. Les cheveux sont longs, bruns, la femme regarde dans l'objectif, sous cet angle les yeux sont noirs. Peu de lumière, tout semble venir de l'éclat de la peau blanche.
« On entend en voix off le dialogue du Mépris de Godard :
« Voix de femme : Et ma nuque, tu l'aimes, ma nuque ?
« Voix d’homme : Oui.
« Voix de femme : Et mon dos, est-ce que tu l'aimes, mon dos ?
« Voix d’homme : Oui.
« Et ainsi de suite pour toutes les parties du corps, jusqu'au moment où Ida reprendra la parole.
« Ida se tient sur le fauteuil dans l'attitude de la conversation et sagement quoique nue. Seule exception, les pieds sont chaussés de haut.
« Arrêt sur image dans le mouvement : sur l'image fixe l'un des pieds est bougé, effacé par le flou comme par un coup de chiffon rageur. Il semble qu'Ida soit irritée : beau geste, elle laisse tomber son escarpin.
« Le visage aussi est effacé dans le mouvement de négation, mais c'est bien l'homme hors-champ qu'elle regarde en niant : “Non non, je ne crois vraiment pas”. Il est là, on le sait seulement par ce qu'elle fait sous ses yeux (par ce que, depuis longtemps, il a décidé qu'elle ferait sous ses yeux : raison de la scène ou maître plan, objet de la seule déduction).
« Autour, les accessoires de l'action sont relégués à leur place. Calendriers, agendas, téléphones, répondeurs : de très petites filles s'affairent, le geste précis et l'oeil aigu, d'une méchanceté de naines. Bien que proportionné, leur corps est anormalement petit (le décor est trop grand) — toute une troupe importune autour d'Ida qui fait mine de ne pas voir. Deux d’entre elles sont armées de règles de bois et pointent un calendrier comme à l'école, un tableau — la joute entre elles doit être argumentée. Au tableau noir, une petite experte à lunettes commente une courbe intitulée : “ligne de la plus grande pente”.
« Derrière, d'autres se chamaillent pour une bouteille de champagne et comparent avec précision les quantités versées dans leurs coupes. Devant un grand miroir surchargé d'ornements baroques, une autre s'exerce à faire des mines lascives tandis qu'on lui dispute la place pour étudier des poses de froideur digne.
« Dans l'ombre où la caméra la découvre, barbouillée de taches et de larmes, une petite boulotte en robe de bal tente de se cacher pour vomir dans de minuscules cabinets d'école maternelle. À peine débusquée, la voilà qui court en tout sens, tente d'occuper les positions prises par les autres et de leur prendre tous leurs jouets. Pour finir elle met une pagaille générale et la reine se retourne.
« La sarabande continue sous ses yeux, mais bientôt ses traits se déforment dans une grimace de dégoût, puis c'est la honte qui s'y peint quand elle baisse la tête : une honte affreuse qu'elle tente d'étouffer, le poing sur la bouche.
« Enfin elle se détourne, fait signe qu'elle ne peut plus les tenir décidément, mais que l'audience continuera. Les traits au repos elle est toujours aussi belle, tournée vers l'homme hors-champ.
« Peu après, la voix d'Ida en colère interrompt le dialogue du Mépris :
« Voix off Ida : Mais quelle boucherie ! ... Vous ai-je jamais demandé...? Qui vous aurait demandé ici, qui ...?
« Non loin de la reine, la plus petite fille se bat avec la bande d'un répondeur. Un minuscule ruban sort de la machine, que la petite effarée regarde, tirant et débobinant toujours plus, d'un geste de tricoteuse qui sort sa laine par mètres.
« Voix off Ida : Si vous me disiez maintenant ... si vous ...
« Voix off Névo : Oui...?
« Voix off Ida : Si vous me disiez de me tuer maintenant... maintenant, je serais capable de le faire.
« Silence total. Ni bruits ni ambiance, rien : une interruption de la bande son.
« Puis :
« Voix off Ida (dans ce silence et sur un tout autre ton) : “Allons, dit Névo, est-ce que je me tue, moi ? On a tout le temps, on n'a que ça”. Puis il m'a emmenée, la nuit recommençait. “Oh, dit Névo, c'est ce que vous voulez voir ? C'est ce que vous appelez Temps ? Mon dieu, comme vous aimez les noms ! Levez-vous maintenant, levez-vous !” »
Lieu de vie
Île-de-France, 75 - Paris
Types d'interventions
- Rencontres et lectures publiques
- Ateliers d'écriture en milieu universitaire
- Rencontres en milieu universitaire
- Résidences