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Michel Deguy
ajouté le 27|04|15
Avec "Ecologiques", paru chez Hermann en 2012, Michel Deguy, qui fut l’un des présidents de la Mel, posait autant vigoureusement que radicalement les termes de la nécessité de penser le rapport de l’homme au Monde.
Le « géocide » est en cours écrit Michel Deguy, et c’est aux poètes, aux philosophes, aux artistes en somme, de faire advenir, par la création, par le poétique, en bref, la langue, ce nouveau rapport de l’homme au monde, regard sans lequel il n’y a pas d’avenir possible, puisque le géocide n’aura lieu qu’une fois. Pour toutes.
La Maison des écrivains et de la littérature est fière, et honorée de la volonté de Michel Deguy, de publier, de désirer rendre largement public, de nouveaux fragments, inédits, de ce puzzle qui vise à recomposer cette nécessaire vision, qui est aussi une visée. La flèche du poète doit faire mouche. Elle fait. Nous vous proposerons donc régulièrement ces chroniques.
Que Michel Deguy soit ici également remercié pour son engagement, à nos côtés, tout au long des démarches que la Mel a faites pour que sa volonté de rapprocher nature et littérature soit entendue et prise en compte dans le cadre de la COP 21 dont elle vient d'obtenir le label pour ses projets.
Ecologique – 1
Adieu aux platanes
ou qu’il ne s’agit pas de la Nature mais de la Terre
Un pic de colère écologique s’érige à cette annonce, réitérée de plus en plus impudemment par les lobbies automobilistiques, qu’il va falloir abattre les arbres qui bordent les routes, les beaux platanes valéryens qui font (ou faisaient) de nos départementales des avenues – comme Le Corbusier projetait de raser le Marais parisien pour entourer de gazon les Tours de sa Cité radieuse.
Ce n’est pas une affaire d’ "environnement", mais de monde : occasion d’insister sur la différence entre l’écologie conservatrice des maires de famille et l’écologie radicale prospectante qui pense (à) la terre, et dont la voyance consiste à voir s’allumer les voyants rouges de la dévastation.
Il ne s’agit pas de « la protection de la Nature ». Il reste beaucoup d’arbres, et on en replante partout (mal). Il s’agit de l’habitabilité terrestre ; de nos « nourritures terrestres ». L’abattage des avenues est un attentat contre Hobbema, contre la perspective, celle qui « donne sens » à la beauté terrestre. « Les artistes assemblent la beauté de la terre », aimait-on citer de Hölderlin. Ils le font par les oeuvres qui font voir la vue – en la montrant et la disant. Par exemple la beauté d’une voie – bordée d’arbres.
Ce ne sont pas les arbres qui sont meurtriers, mais la vitesse. Et s’il faut choisir entre les Porsche et les arbres, notre choix est fait. Modifiant légèrement une phrase fameuse de Heidegger, disons : « Il ne s’agit pas principalement de l’Automobiliste ».
La Formule 1 n’a pas d’avenir. Au reste, une des premières mesures que prendra le gouvernement écologique terrestre (« mondial » ?) consistera en la suppression des courses de bolides. Ce présent n’a pas d’avenir.
Bien entendu je n’ignore pas que c’est le contraire qui écherra ; que les platanes disparaîtront, comme les éléphants, qui « gênent » notre installation. C’est à l’à-venir, comme l’écrit Derrida, auquel nous pensons en «écologie profonde», qui n’a pas de présent – ni d’avenir.
Adieu aux platanes.
Michel Deguy - Avril 2015