Actualités
Les temps sont durs, par Éric Pessan
Au cœur de l'élan de mobilisation pour La Maison des écrivains et de la littérature, le texte d’Éric Pessan, qui est pour nous, le point de départ d’une nouvelle mobilisation, nécessaire, plus forte, plus large, plus déterminée. Nous le remercions infiniment.
Nous vous invitons à le lire, à le diffuser largement, à le faire entendre.
Les temps sont durs, mettons. L’accroissement global des richesses individuelles et du nombre de milliardaires dément un peu cette affirmation. On nous répète du matin au soir qu’il faut rembourser la dette dont nous sommes responsables avec la même énergie que l’on expliquait à nos dévots ancêtres qu’il fallait courber l’échine pour expier la faute originelle.
Je ne vais pas m’appesantir sur le sujet pas plus que je ne vais reprendre les arguments mille fois répétés (à juste titre) selon lesquels un euro investi dans la culture génère entre 4 et 6 euros de profits. Tout le monde sait ça. Tout le monde sait que la fortune des plus riches croît comme jamais au long de l’histoire humaine, comme tout le monde sait qu’investir dans la culture produit un rentable retour sur investissement. Tout le monde le sait et ça ne change rien. Passons.
Si on ne l’entend pas, c’est qu’on ne veut pas l’entendre.
Je vais essayer autre chose.
Partout il se dit qu’il faut faire des économies et que la culture pourrait alors représenter une variable d’ajustement. La culture représente, en 2025, 0,6 % des dépenses de l’état (la somme englobe tout, de la création au patrimoine). Je lis ou j’entends qu’il faut supprimer les subventions, que la culture pourrait se consacrer à assurer sa propre rentabilité. Et c’est là-dessus que je voudrais attirer l’attention.
Prenons l’exemple de la Maison des Ecrivains et de la Littérature (la Mél, pour aller plus vite) (je prends cet exemple-là, mais je pourrais choisir d’évoquer une scène nationale, la maison Julien Gracq à Saint-Florent le Vieil ou la Maison de la poésie de Nantes. Les modalités de financements ne sont pas les mêmes, les interlocuteurs ne sont pas les mêmes mais la logique est identique : ce sont des associations subventionnées qui œuvrent dans le champ culturel). La question qui se pose, c’est à quoi servent donc ces subventions ? Autrement dit : où passe l’argent de nos impôts ? (enfin, des vôtres, cela fait 25 ans que je suis écrivain à plein temps, je n’ai pas de problèmes d’impôts puisque – sans spécialement chercher à défiscaliser – je ne gagne pas assez ma vie pour en payer).
L’argent public sert en partie à payer les salaires des travailleurs de ces associations : de la direction au personnel de ménage. Tout comme l’hôpital devrait payer les salaires du personnel de soin, l’éducation nationale les profs, l’assemblée nationales de ses fonctionnaires, la poste de ses facteurs, etc... Tout comme sont payés les élus de la nation.
Ensuite, cet argent sert à mettre en place des actions. Et c’est là que je suis concerné. A plusieurs reprises depuis bientôt vingt ans, la Mél m’a proposé d’animer des ateliers d’écriture en milieu scolaire. J’ai pris ma voiture ou je suis monté dans un train, j’ai rencontré des élèves, j’ai établi avec eux un contact et débuté un travail simple et ambitieux : leur montrer qu’ils ont le droit de s’exprimer, que lire et écrire sont des choses les concernant, qu’avec un peu de temps et d’écoute ils pouvaient s’approprier un projet artistique, s’y investir et produire une chose (un poème, des lettres ouvertes, un texte collectif, un manifeste pour la préservation des océans…) qui n’existait pas avant ma venue. On a partagé un temps de création et d’émancipation, on l’a fait avec la complicité et l’implication des enseignants qui ont pu s’appuyer un peu sur moi durant les quelques séances d’ateliers. Souvent, c’était trop court. Souvent, c’était formidable. Souvent, c’était bouleversant de voir comment certains élèves se révèlent durant ce temps scolaire un peu différent.
Voilà l’usage qu’il est fait des subventions. Voici ce que la libre concurrence ne pourra jamais mettre en place (comme elle ne mettra jamais en place un système de santé égalitaire, une école pour tous, des services publics qui placent le bien être du citoyen au cœur de leur préoccupation). Je touche de l’argent public pour effectuer un travail (souvent en des établissements compliqués, avec des élèves que leurs parents n’inscriront pas à des ateliers payants). C’est une question de liberté, d’égalité, de fraternité (de sororité, bien entendu). C’est la moindre des choses qu’une nation responsable puisse offrir à ses enfants, à ses citoyens : l’ouverture de possibles. C’est à la mise en place de ces possibles-là que les salariés d’associations culturelles comme la Mél travaillent avec les écrivains.
20 février 2025 – Eric Pessan
Post-scriptum : Et à celles et ceux qui se scandalisent d’imaginer qu’un artiste, un écrivain, puisse recevoir une aide à la création (c’est-à-dire une subvention non liée à la mise en place d’une médiation – elles sont très très rares), je rappelle que les musées comme le répertoire musical ne comportent quasiment que des œuvres d’artistes qui ont été subventionnés : par le roi, par le pacha, par le pape, par le prince, par le puissant, par le mécène, par l’état. Les paléontologues nous apprennent que celles et ceux (plutôt celles, semble-t-il) qui ornaient les parois des cavernes lorsque l’humanité naissait étaient nourris et protégés par ceux qui partaient chasser. Le scandale dure donc depuis que l’humanité est humaine.
Au cœur de l'élan de mobilisation pour La Maison des écrivains et de la littérature, ce texte d’Éric Pessan, est pour nous le point de départ d’une nouvelle mobilisation, nécessaire, plus forte, plus large, plus déterminée.
Nous le remercions infiniment.
Nous vous invitons à le diffuser largement, à le faire entendre.