Contenu | Navigation | Politique d'accessibilité | Crédits Lettre internet

Actualités

Réinvestir dans l'éducation artistique : une nécessité politique et culturelle urgente

Je joins ma voix  à la M.E.L pour soutenir son combat courageux et exemplaire ; je me tiens à ses côtés pour exiger la continuité sans faiblir ni révision à la baisse de sa mission de création, d'écriture et de transmission des valeurs essentielles de l'art et de la pensée.

Philippe Morier-Genoud 

 

Réinvestir dans l'éducation artistique : une nécessité politique et culturelle urgente

Nous assistons, une fois de plus, à un coup de force contre l'éducation artistique et culturelle avec le blocage soudain des fonds alloués aux établissements via la part collective du pass Culture.

La brutalité de cette décision est inacceptable. D'un côté, des élèves privés de projets d’éducation artistique. De l'autre, des enseignants engagés, ayant consacré temps et énergie à monter ces projets, qui se retrouvent désavoués. Et que dire des écrivains, artistes et lieux culturels, déjà fragilisés, qui subissent de plein fouet cette interruption de financements ?

Certaines initiatives ont dû être annulées, d’autres sauvées in extremis, mais la Maison des écrivains et de la littérature (la Mél) attend toujours les remboursements promis. L’équipe du pass Culture nous invitant désormais à contacter directement le ministère de l'Education nationale et les DAAC. Ce retard nous met en difficulté pour honorer nos engagements envers les auteurs, et nous nous battons aujourd'hui pour qu'aucun d'entre eux ne subisse de préjudice.

Au-delà de cette crise, nous devons poser une question essentielle : à qui et à quoi doit servir l'argent public destiné à l'éducation artistique ?

Il fut un temps où l'éducation artistique et culturelle était portée par une vision ambitieuse : donner à chaque élève un accès réel à la création, aux arts, à la littérature, en faisant de l'école un lieu de rencontre avec les artistes et les œuvres. Il ne s'agissait pas d'un simple "plus culturel" mais d'une véritable politique de formation des esprits, d'émancipation et d'éveil critique.

Aujourd'hui, cette vision est mise à mal. Au lieu de dispositifs structurants et de rencontres élaborées entre auteurs, artistes, enseignants et élèves, ces acteurs doivent passer par les plateformes de mise en relation, comme si la transmission artistique et littéraire pouvait se réduire à une simple interface numérique. Or, la culture ne se consomme pas comme un produit, elle se vit, se partage, s'expérimente.

Les enseignants, qui s'engagent avec conviction sur des projets au long terme pour donner aux élèves des outils d'analyse, des mots, des arguments, sont de plus en plus isolés. Les visites de musées, places de cinéma, théâtre, opéra se multiplient et c’est très bien. La fréquentation des lieux artistiques et le contact des œuvres sont primordiaux. Mais qu’en est-il des ateliers de lecture et d’écriture, des rencontres avec des écrivains ? Ces moments d’échange, où les élèves peuvent interroger un auteur sur les textes, sur son processus de création, découvrir les mécanismes de la lecture, de l’écriture, développer leur propre expression, sont plus rares ou laissés à l'initiative de quelques enseignants passionnés.

De même, les autrices et les auteurs ne doivent pas être transformés en prestataires d'un grand catalogue où la mise en concurrence prévaut sur la qualité des interventions. Ils doivent pouvoir travailler avec des intermédiaires solides, des structures comme la Maison des écrivains et de la littérature, qui garantissent une véritable mise en place des rencontres littéraires dans de bonnes conditions.

L’éducation artistique ne peut pas se résumer à une variable d'ajustement budgétaire ou à un dispositif de communication. Elle est un levier essentiel pour préparer les esprits à la complexité du monde, pour lutter contre les obscurantismes, pour développer une relation au langage, pour donner à la jeunesse des raisons d'espérer et de s'engager. Une société qui abandonne cette éducation artistique se prive d'un outil majeur d'ouverture et de construction citoyenne.

Il est urgent de refuser la marchandisation de la transmission culturelle et de réinvestir dans de véritables dispositifs de qualité, soutenus par l'État et les collectivités. Il en va de notre capacité à former des esprits critiques, à faire vivre la diversité artistique et à garantir à tous les élèves, quel que soit leur territoire, un accès équitable à la culture. Car l’éducation artistique, loin d’être un luxe, est une nécessité politique et démocratique.

Plus encore, elle est un vecteur de joie et d’espoir pour une jeunesse qui va mal. Face aux constats alarmants sur la santé mentale des jeunes, sur leur sentiment d’abandon et de désillusion, nous avons le devoir de leur offrir des espaces d’expression, de création et de rêve. L’art et la culture doivent redevenir des sources d’inspiration, des refuges où ils peuvent se reconstruire et imaginer un avenir plus lumineux. Sans cela, c’est toute une génération que nous risquons de laisser sombrer dans le désespoir.

Nous réaffirmons avec force que ces fonds supprimés doivent être réinjectés dans des structures de médiation expérimentées, telles que la Maison des écrivains et de la littérature, qui permettent aux jeunes de rencontrer des auteurs, de participer à des ateliers de lecture et d'écriture, d'apprendre à manier les mots et les idées.

Et puisque la part individuelle du pass Culture est maintenue, il est essentiel de créer une complémentarité avec la part collective. C’est en cela que la Mél accompagne les enseignants dans la diversification des expériences artistiques, orientant les élèves vers de nouvelles découvertes et renforçant leur lien avec des écrivains prescripteurs, favorisant ainsi des choix plus variés lors de leur utilisation du pass individuel.

Garance Jousset